Si la tragédie ferroviaire de Mégantic n’était pas assez pour que Marc Garneau accepte enfin de serrer les freins à main lorsqu’un train s’arrête sur une pente, celle qui a coûté la vie  à trois Britano-Colombiens le 4 février dernier a finalement fait bouger le ministre canadien des Transports.

L’arrêté ministériel, pourtant nécessaire, n’a cependant pas passé comme une lettre à la poste. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le Canadien Pacifique (CP), le Canadien National (CN) et l’Association des chemins de fer du Canada (ACFC) demandent à un tribunal d’annuler la décision du gouvernement fédéral les obligeant à appliquer ces mesures de sécurité. Peu importe le nombre de morts, ces compagnies n’ont pas intérêt à miser sur des pratiques plus sécuritaires. À vrai dire, il n’y a rien de surprenant dans l’attitude des compagnies ferroviaires. Depuis des années elles décident elles-mêmes des règles qu’elles doivent suivre et elles sont chargées de s’auto-inspecter, et ce avec la bénédiction d’Ottawa.

Le 10 octobre 2008, le conservateur John Baird remplaçait Lawrence Cannon à titre de ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités. C’est durant son mandat qu’il confirme l’autorité suprême des sociétés privées en matière de réglementation de la sécurité ferroviaire au Canada. C’est là que réside la source du problème puisque les compagnies en quête de profit veulent remplir les poches de leurs actionnaires et que pour cela il faut faire des profits, beaucoup de profit.

Pour faire de l’argent, il faut «optimiser» le transport. Les compagnies ferroviaires, comme la Montreal, Maine and Atlantic Railway (MMA) qui était en cause dans le drame de Mégantic, optent pour le train-bloc. Des trains plus longs et plus rapides qui peuvent rouler jusqu’à 28 % plus vite qu’un train normal et se rendre directement à destination sans s’arrêter.

Même si ces convois peuvent mesurer jusqu’à deux kilomètres de long et qu’ils transportent du pétrole ou d’autres matières dangereuses, la MMA a obtenu l’autorisation de Transports Canada de n’assigner qu’un seul opérateur à ses trains. Le laxisme du fédéral dans la réglementation du transport ferroviaire conjugué à l’appât du gain de la MMA auront permis à la compagnie de mettre en place ce fameux one man crew. Une façon de faire dangereuse qui sera d’ailleurs pointée du doigt par le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) dont le rapport comporte des blâmes sévères envers Transports Canada et la MMA pour l’accident de Lac-Mégantic.

«  La MMA ne gérait pas efficacement les risques ni dans ses activités courantes, ni quand elle a réduit le nombre des membres d’équipe de deux à un, ni quand elle s’est mise à transporter de plus en plus de pétrole brut. C’était une compagnie où la culture de sécurité était faible, où les employés faisaient le strict nécessaire pour accomplir leur travail plutôt que de toujours suivre les règles, une compagnie où on tolérait des conditions dangereuses et des pratiques dangereuses », a affirmé l’administrateur en chef des opérations au BST, Jean Laporte lors du dévoilement du rapport.

Sans la tragédie de Mégantic, aurions-nous pu faire la lumière sur les pratiques d’opération douteuses de la Montreal, Maine and Atlantic Railway? Certainement pas. Il aurait sans doute fallu attendre un autre drame. Si la scène apocalyptique de Mégantic a marqué notre imaginaire collectif, la mort des travailleurs de l’industrie ferroviaire devrait aussi nous donner la chair de poule.

Dans son billet « Les effets de la déréglementation sur la tragédie de Lac-Mégantic », Bertrand Schepper de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) explique malheureusement trop bien où nous en sommes relativement à la sécurité ferroviaire.

« Avec la transformation du marché du transport canadien liée au boom pétrolier albertain, la dérèglementation semble être un non-sens. Pourtant ces décisions s’inscrivent dans une logique de gestion bien précise nommée le néolibéralisme et dans le cadre duquel les États sont appelés à gérer l’impôt des populations dans l’intérêt de l’entreprise privée. Ce type de politiques mène à privatiser les profits pour les entreprises tout en socialisant les coûts. Malheureusement, lorsque l’on parle de sécurité publique les coûts sont parfois extrêmement lourds, comme en témoigne le déraillement du 6 juillet 2013 », écrit-il.

Inutile de dire que j’aimerais bien entendre l‘ex-ministre John Baird, qui fut par la suite nommé au conseil d’administration du Canadien Pacifiqueil siège toujours aujourd’hui à ce sujet.

Je rappelle que le gouvernement fédéral a déjà tenu des commissions d’enquête pour les déraillements de Mississauga en Ontario (Commission Grange, 1980) et de Hinton en Alberta,  tuant 23 personnes et blessant 95 autres (Commission Foisy, 1986) et il est grand temps qu’il en tienne une sur la tragédie du Lac-Mégantic. Cette commission d’enquête pourrait sans doute mettre en lumière tout ce qui cloche dans le système actuel. Elle pourrait permettre de sauver des vies en protégeant mieux les travailleurs de l’industrie ferroviaire et par conséquent protéger toute la population en général. Nous pourrions nous assurer de ne jamais revoir un drame comme celui qui a secoué le Québec le 6 juillet 2013.

Déraillements fréquents :

Le 16 février 2019, un train-bloc de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), composé de 110 wagons-citernes de pétrole brut circulait vers l’est à environ 49 mi/h lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit près de St-Lazare. 37 wagons-citernes avaient déraillé, les cinquième et sixième wagons sont demeurés à la verticale sur la voie et ne présentaient pas de dommages ou de fuites visibles. Les 35 autres wagons-citernes déraillés étaient empilés dans diverses positions sur une distance de 300 à 400 pieds.

Ils ont été examinés par le Bureau de sécurité des transports (BST). Quelque 16 wagons-citernes ont été perforés et ont déversé au moins 1 000 000 de litres de produit, qui s’est retrouvé en contre-bas le long de la voie ferrée, sept d’entre eux ont été sélectionnés pour un examen plus approfondi qui aura lieu à une date ultérieure afin d’en évaluer la performance. Le BST a également récupéré certains composants de la voie ferrée et des essieux montés préoccupants, qui seront transférés à son laboratoire d’ingénierie à Ottawa pour une analyse de défaillance détaillée.

Le 4 février 2019, un convoi à destination de Vancouver comptant 112 wagons commence à rouler tout seul et en vient à dépasser largement la limite de vitesse fixée pour cette région. Lors de cette folle descente, 99 wagons et deux locomotives déraillent. Le mécanicien Andrew Dockrell, le chef de train Dylan Paradis et le stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer perdent la vie dans l’accident.

Le 2 février 2019, un train de voyageurs de VIA Rail se dirigeait vers l’est dans la subdivision de Kingston lorsqu’il a heurté des objets inconnus près de Brighton en Ontario. La collision a endommagé le train et perforé le réservoir de carburant de la locomotive du milieu du train, entraînant le déversement d’environ 1600 gallons de carburant diesel. La collision a également projeté des débris sur le véhicule d’un contremaître se trouvant à proximité. Un employé a subi des blessures graves.

Le 22 janvier 2019, un train déraille à Saskatoon. Le train du Canadien National (CN) se dirigeait vers le sud sur la subdivision de Warman lorsque 29 wagons chargés de céréales ont déraillé près de Warman (Saskatchewan) où on a signalé une fuite de carburant d’une locomotive.

Le 9 janvier 2019, quatre wagons d’un train de marchandises du Canadien Pacifique (CP) quittent les rails le long de l’avenue Higgins dans le centre-ville de Winnipeg.

Le 4 janvier 2019, deux trains de marchandises ont déraillé à l’est de Portage-la-Prairie, au Manitoba.

Le 4 décembre 2018, Pierre-Luc Levesque, qui œuvre à titre de chef de train et contremaître stagiaire pour le Canadien National (CN) à Edmundston, décède suite à un accident survenu dans la cour de triage de la compagnie ferroviaire. Selon les premières constatations du BST, le père de famille de 33 ans est mort lorsqu’un wagon a reculé dans la cour de triage.

Le 22 novembre 2018, un chef de train du Canadien Pacifique (CP) décède suite à un accident de travail survenu au centre-ville de Calgary, sur la voie ferrée adjacente à la 9e avenue.

Le 22 décembre 2017, toujours selon le BST, une manœuvre du Chemin de fer Canadien National à Melville (SK) a refoulé trois wagons-tombereaux chargés de ballast sur une voie d’accès. Le contremaître chargé du mouvement de train a orienté l’aiguillage et amorcé un mouvement de renverse. Une fois le mouvement amorcé, le contremaître s’est aperçu que les trois wagons refoulés s’étaient arrêtés puis avaient commencé à dériver vers l’arrière. Le contremaître a alors arrêté le mouvement du train dans la voie d’accès.1

Le contremaître a ensuite couru vers les wagons à la dérive, est monté à bord du wagon de tête et a tenté de serrer les freins à main lorsque les trois wagons ont percuté bout à bout le train qui avait été immobilisé. » Le contremaître s’est retrouvé coincé entre les wagons et a subi des blessures graves, qui ont entraîné son décès par la suite.1

Le 8 novembre 2017, un employé du Chemin de fer Canadien Pacifique a été happé mortellement lors d’une manœuvre de triage qui poussait des wagons à la gare de triage Saint-Luc à Montréal. Les enquêteurs du BST ont ouvert une enquête sur l’accident.1