Nos médias d’information en danger!

En décembre, un homme d’une soixantaine d’années entre à mon bureau de circonscription, il souhaite nous sensibiliser à l’importance de soutenir la presse écrite. Il n’a pas internet, c’est un choix que cet homme éduqué a fait. Il dit ne pas avoir envie de perdre sa liberté, d’être épié et de devenir comme plusieurs, esclaves des médias sociaux.

Il étale ses raisons et ses yeux s’emplissent de larmes, il s’explique mal comment il est devenu un « citoyen de seconde classe », lui qui a aidé à bâtir le Québec.

« Nous perdons peu à peu le droit d’être informés quand nous n’avons pas internet, a-t-il dit. Vous ne savez pas l’effet que ça fait. C’est un peu comme si en refusant d’avoir une identité virtuelle, on perdait toute notre identité. »

Certains diront qu’on ne peut pas arrêter le progrès, mais je crois qu’il y a quelque chose de sage dans les paroles de cet homme. Selon l’Organisme de recherche et d’innovation (CEFRIO), près de sept adultes québécois sur dix utilisent hebdomadairement internet comme source d’information au Québec.

Or, Mark Zuckerberg, cofondateur et PDG de Facebook, reconnaissait le 4 janvier dernier, les « erreurs » de la compagnie dans la diffusion de contenus problématiques tels que des propos haineux et des « fake news » sur le réseau social qui compte près de deux milliards d’utilisateurs sur la planète. « Facebook a beaucoup de travail à faire – que ce soit pour protéger notre communauté contre les abus et la haine, pour se protéger contre l’ingérence des États… », a-t-il écrit.

Le droit et la véracité de l’information ne sont-ils pas essentiels dans une démocratie digne de ce nom?

Le Comité permanent du patrimoine canadien qui a remis son rapport à la ministre Mélanie Joly en juin 2017 semble penser que oui.   Au terme de nombreuses consultations où il s’est, entre autres, penché sur la perte graduelle d’accès aux actualités et aux nouvelles locales et régionales qui se produisait au Canada, le Comité a  recommandé que la ministre Mélanie Joly étudie les structures existantes pour créer un nouveau modèle de financement qui s’appliquerait à toutes les plateformes et qui supporterait le contenu journalistique, incluant les journaux papier. Mais où se dirige le Canada actuellement?

Le Québec doit se donner le moyen de vivre dans un monde équitable où les richissimes multinationales ne bénéficient pas de passe-droits que les entreprises de chez nous n’ont pas.

À une époque où on multiplie les sources d’information, la ministre les soustrait. Si elle ne lit pas le journal sur une tablette, c’est obsolète. Les politiques canadiennes semblent bien nous amener dans les bras de Google et autres géants américains.

Or,  quand le fédéral s’agenouille devant les géants du web et refuse de percevoir les taxes de vente, il prive les Québécoises et les Québécois de revenus substantiels.

Une crise sans précédent

Au moment d’écrire ces lignes, la presse écrite se demande toujours comment elle survivra à la plus grande crise de son histoire.

Depuis 10 ans, cette crise a entraîné la perte de milliers d’emplois au Canada.  Au Québec, 43 % des emplois dans ce secteur ont été perdus entre 2009 et 2015.

Pourquoi? Parce que les géants du web qui n’engagent aucun journaliste et ne produisent aucun contenu s’accaparent maintenant l’essentiel des revenus publicitaires. Par exemple, à eux seuls Facebook et Google se partagent 70 % de ces revenus en ligne.

Devant un tel déséquilibre qui met la survie de la presse en danger, le monde médiatique s’est mobilisé. Ici, la Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec qui regroupe 180 journaux qui informent chaque semaine 6,5 millions de Québécois, soit plus de 80 % de la population, a demandé à l’État la création d’un programme d’aide. « Prenez des risques et nous vous aiderons à réussir », s’est contentée de dire Mélanie Joly. Pendant ce temps, les pertes d’emplois et l’insécurité se multiplient.

La bataille du web

On ne désigne pas la presse et les médias comme le quatrième pouvoir pour rien. Ce dernier peut servir de contrepoids face aux trois pouvoirs de l’État soit les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Malheureusement, force est de constater que si nos travailleurs de l’information ont de la difficulté à se faire entendre à Ottawa, il semble que les géants du web sont en résidence au ministère du Patrimoine.

Le registre des lobbyistes de l’an dernier faisait état de 152 rencontres avec les Amazon, Google et Netflix.

Si la proximité du gouvernement Trudeau avec les lobbyistes de ces multinationales est inquiétante, le manque de transparence à cet égard l’est tout autant. Si une seule et unique communication entre Facebook et les libéraux a été inscrite au registre des lobbyistes pendant cette période, la page Facebook de Kevin Chan, directeur des politiques publiques de Facebook, indique qu’entre juin et septembre dernier, il a eu au moins quatre rencontres et a participé à deux panels avec des ministres libéraux, dont ceux des Institutions démocratiques, des Petites Entreprises, de l’Environnement, des Finances et de la Condition féminine.

L’accès à l’information

Si le début de l’année fut marqué par les nombreuses sorties publiques des grands oubliés de la politique culturelle canadienne, on doit aussi mentionner celle de la commissaire à l’information du Canada, Suzanne Legault. Elle ne s’est pas gênée pour accuser Justin Trudeau de lancer de la poudre aux yeux des citoyens en promettant la transparence, allant même jusqu’à dire que la réforme sur l’accès à l’information qu’il propose fera reculer les droits des citoyens.

Elle a affirmé que si cette réforme avait été en vigueur dans le passé, le scandale des commandites n’aurait sans doute jamais éclaté au grand jour. Quand on se penche attentivement sur la situation des médias, de l’accès à l’information et la façon dont le gouvernement Trudeau se laisse courtiser par des géants du web, on peut se demander qui, au final, gagnera la bataille du web et contrôlera un jour l’information?

Le citoyen qui s’est présenté à mon bureau de circonscription n’est certainement pas heureux de la position du Canada. Des journaux libres et indépendants sont la base de la démocratie. Les obstacles se multiplient, car avec la concentration des médias ici-même, peu d’entre eux présentent une multitude de points de vue et la perspective indépendantiste est trop souvent écartée d’emblée.

Imaginons maintenant ce que ce sera l’information que nous recevrons avec la concentration mondiale que le Canada semble vouloir favoriser.