Le 50e anniversaire de la crise d’Octobre est une occasion que le Canada doit saisir pour s’excuser d’avoir instauré les mesures de guerre et d’avoir inventé de toutes pièces un complot pour insurrection visant, disait-il, à renverser le gouvernement du Québec.

En effet, en 1970, le Canada de Pierre-Elliott Trudeau a envoyé l’armée et laissé la Gendarmerie royale du Canada infiltrer et déstabiliser des organisations démocratiques et militantes du Québec, et ce, bien au-delà des événements tragiques qui ont suivi. Le Canada ne l’a pas fait pour mettre fin à une insurrection, mais bien pour réprimer le mouvement indépendantiste.

À l’époque, Marc Lalonde, alors chef de cabinet de Pierre Trudeau, avait convoqué Peter Newman, rédacteur en chef du Toronto Star, pour lui dire : « Nous croyons qu’un groupe d’éminents Québécois complotent pour remplacer le gouvernement dûment élu de la province. […] Parmi les meneurs, on trouve René Lévesque, Jacques Parizeau, Marcel Pepin et Claude Ryan. Cette tentative pour établir un gouvernement parallèle doit être empêchée.

Cette histoire ne servait qu’à justifier la suspension des droits fondamentaux au Québec. Faut-il le rappeler, la Loi sur les mesures de guerre a été adoptée en 1914, lors de la 1re guerre mondiale et elle ne sera invoquée que trois fois au cours de l’histoire, soit pendant les deux guerres mondiales et pendant la crise d’octobre.

Dans les jours qui ont précédé le 15 octobre, le Service de sécurité de la GRC a collaboré avec la Sûreté  du Québec à la préparation de listes de suspects. Elle comptait 56 noms.

La GRC a ensuite ajouté une centaine de noms à cette liste pour présenter une liste de 158 personnes au premier ministre Trudeau.

Les personnes dont le nom apparaissait sur ces listes préparées par la GRC avaient, selon les dossiers, pris part à des manifestations violentes ou préconisé l’usage de la violence, ou étaient soupçonnées d’activités terroristes.

Lorsque les arrestations vont commencer, elles seront beaucoup plus larges et aveugles.

À quatre heures du matin dans la nuit du 16 octobre 1970, la Loi sur les mesures de guerre est promulguée et ce qui en découlera sera la plus importante intervention de l’armée en temps de paix au Canada. Dans cette seule nuit, plus de 450 personnes furent arrêtées et emprisonnées.

Dix ans après cette frappe des autorités, l’ex-ministre Jean Marchand, devenu président du Sénat, ira jusqu’à dire que la Loi sur les mesures de guerre équivalait à « mobiliser un canon pour tuer une mouche ».

Le premier ministre de l’époque, Pierre Eliott Trudeau, quant à lui ne montrera jamais de remords. Encore en 1993, il écrivait « « La société doit prendre tous les moyens à sa disposition pour se défendre contre l’émergence d’un pouvoir parallèle qui défie l’autorité élue du pays ».

Pour ma part, lors de la crise d’octobre, j’étudiais à l’université pour devenir enseignante.  Un matin, en me rendant à mes  cours, j’ai croisé des soldats en traversant le parc Lafontaine. J’étais très anxieuse, je n’aimais pas ce que je voyais. En fait, quand j’y pense, j’ai eu peur. Dès que la Déclaration canadienne des droits eut été suspendue et même si les experts antiterroristes des trois forces policières – municipale, provinciale et fédérale – n’avaient au maximum que quelques suspects, 500 personnes ont été arrêtées et emprisonnées sans mandat.

Des 500 personnes arrêtées, 90 % ont été relâchées sans que des accusations soient portées et 95 % de celles qui ont été inculpées ont finalement été acquittées ou ont bénéficié d’un abandon des poursuites.

Ces gens n’étaient pas des criminels, ils étaient pour la plupart des indépendantistes, certains ne l’étaient même pas.

Parmi les personnes arrêtées ou incarcérées, on compte des poètes, des chanteurs et chanteuses, des journalistes, des syndicalistes, des avocats, de simples militants indépendantistes. Parmi eux, il y avait…

  1. Pierre Côté
  2. Pierre Côté (eh oui, un deuxième Pierre Côté)
  3. Ginette Courcelles
  4. Martin Courcy
  5. Jean-Guy Couture
  6. Jean-Marcel Cusson
  7. Daniel Cyr
  8. Micheline Cyr
  9. Jean-Marie Da Silva
  10. Blaise Daignault
  11. Dominique Damant
  12. Paul Danvoye
  13. Michèle Danvoye-Raymond
  14. Djahanguir Dardachti
  15. Mario Darin
  16. Brenda Dash
  17. Victor Daudelin
  18. Benoît-André Davignon
  19. Bruno De Gregorio
  20. Claire Demers
  21. François Demers
  22. Jocelyne Dépatie
  23. Jean-Pierre Deschênes
  24. Pierre Desfosses
  25. Hélène Desjardins
  26. Marcel Desjardins
  27. Jacques Désormeaux
  28. Louise Désormeaux (Goulet)
  29. Richard Desrosiers
  30. Jean Désy
  31. Jean-Pierre Dionne
  32. Thomas Gordon Dolan
  33. Gaëtan Dostie
  34. Laura Maud Dottin
  35. Ginette Doucet
  36. Jacques Dubé
  37. Michel Dubé
  38. Robert Dubeau
  39. Bernard Dubois
  40. Claude-André Ducharme
  41. Albert Dufour
  42. Claire Duguay
  43. Claude Dulac
  44. Michel Dumont
  45. Bernard Dupéré
  46. Claire Dupond
  47. Pierre Dupont
  48. Pierre Dupont (eh oui, un deuxième Pierre Dupont)
  49. Réjeanne Dupont (Isabelle)
  50. Danielle Dupont (Tremblay)
  51. Daniel Dupuis
  52. Maryann Farkas
  53. Andrée Ferretti (Bertrand)
  54. Mireille Filion
  55. Lise Fillion (Catudal)
  56. Yvon Forget
  57. Guy Fortin
  58. Joseph Fortin
  59. Pierre Fournier
  60. M. Fréchette

Dans la foulée des événements d’automne 70, il y a eu aussi eu l’arrestation de mon frère Michel Pauzé et je peux vous dire que cet épisode l’a profondément marqué puisqu’il été capable de m’en parlé seulement des années plus tard. J’ai été surprise d’apprendre ce qui lui était arrivé. Ce fut un choc pour moi de savoir que mon frère cadet, qui était étudiant au Cégep du Vieux-Montréal, avait été arrêté comme ça, pour rien.

Je ne suis pas près d’oublier non plus  quand la police est débarquée à la maison familiale pour poser des questions et pour fouiller notre demeure même si Michel n’y habitait plus. Nous ne sommes pas un cas isolé puisque les  forces de l’ordre ont effectué 31 700 perquisitions, dont 4600 avec saisie pendant cette période. Dans plusieurs cas ces actes furent imprégnés de violence. J’aimerais aujourd’hui voir le fédéral dénoncer cette violence, mais malgré nos demandes répétées, ce gouvernement reste muet.

Pourtant, le fédéral s’est excusé à de nombreuses reprises par le passé. Comme je le mentionnais un peu plus tôt, la loi sur les mesures de guerre a été invoquée deux fois avant la crise d’octobre pendant les deux premières guerres mondiales.

Le gouvernement canadien a présenté des excuses pour chacune de ses deux interventions.

  • En 1988, pour les victimes d’origine japonaise internées et déplacées lors de la 2e guerre mondiale;
  • En 1990, pour les victimes d’origine italienne internées lors de la 2e guerre mondiale;
  • En 2006, pour les victimes d’origine ukrainienne internées lors de la 1re guerre mondiale;

Dans les deux premiers cas, le gouvernement a versé des compensations financières, soit aux victimes directement soit à des associations les représentants pour leur permettre d’organiser des activités d’éducation et de commémoration.

Pour les Italo-Canadiens, le gouvernement a promis de faire de même en juin 2019.

Je repose la question, où sont les excuses du fédéral pour les victimes de la crise d’octobre?

Bon nombre de Québécoises et de Québécois portent encore les séquelles de cette crise et le gouvernement non seulement en prendre acte, mais reconnaître sa part de responsabilités. Nous réclamons donc aujourd’hui des excuses officielles du premier ministre au nom du gouvernement du Canada pour la promulgation, le 16 octobre 1970, de la Loi sur les mesures de guerre et le recours à l’armée contre la population civile du Québec afin d’arrêter de façon arbitraire, d’incarcérer sans accusation et d’intimider près de 500 Québécoises et Québécois innocents.