Les élus devraient agir en tenant compte des lois existantes. Voilà la conclusion émise par le Bloc Québécois, Jean Baril, professeur de droit à l’UQÀM et Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement à l’Université Laval.

Lors d’une conférence qui s’est tenu en mai, Me Jean Baril a d’abord rappeler que l’objectif du Parti Québécois lors de la création du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en 1978 était de donner la parole au citoyen pour qu’il devienne un acteur important dans la protection de l’environnement. Il faut savoir que l’environnement est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces et que celles-ci ont le devoir d’analyser les projets sur leur territoire.

Les groupes de défense de l’environnement et les citoyens qui s’opposent à l’oléoduc Énergie Est de la compagnie TransCanada ne sont pas des extrémistes.  Ce sont des gens qui demandent tout simplement que nos élus agissent en tenant compte des lois existantes.

Lorsqu’un projet est interprovincial, les lois provinciales ne sont pas applicables. Toutefois, cette exclusivité des compétences fédérales doit s’appliquer avec beaucoup de retenue, comme plusieurs jugements sont venus le confirmer, a souligné Paule Halley.

À titre d’exemple, la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans un arrêt portant justement sur un projet de pipeline, a récemment stipulé que cette exclusivité fédérale ne s’appliquait pas dans ce dossier, car elle ne reflète pas la tradition légale canadienne, rappelant que la Cour suprême soutient plutôt un fédéralisme coopératif.

On peut raisonnablement penser, selon Mme Halley, qu’un juge de la Cour supérieure du Québec appelé à trancher sur les prétentions de TransCanada rendrait une décision semblable et rejetterait cette théorie de l’exclusivité fédérale. Donc, quand TransCanada dit qu’elle accepte « volontairement » de se plier aux lois du Québec, elle nous manipule.  En fait, elle est tout simplement obligée de respecter la loi.

Mais cette compagnie ne lâchera pas prise.  Assujettir TransCanada aux lois du Québec est une véritable course à obstacles, d’autant plus que l’attitude du gouvernement de Philippe Couillard ne fait qu’ajouter au problème. Une première victoire a été remportée lors de la saga de Cacouna et des bélugas. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là.

Lorsque, le 8 juin 2015, le ministre de l’Environnement du Québec a confié au BAPE le mandat d’enquêter sur Énergie Est, il a exclu du mandat l’évaluation des retombées économiques et fiscales, la question de l’approvisionnement en gaz naturel pour les Québécois, en plus de ne pas tenir compte du respect des droits des Autochtones, a expliqué Mᵉ Baril.

Ce mandat tronqué a des conséquences importantes. Il se traduit par l’absence de directive du ministre sur les enjeux spécifiques, que le promoteur doit documenter dans son étude d’impact, et sur les impacts dans les différents champs de juridiction des différents ministères.

Ce mandat ne rendait pas obligatoire l’obtention d’un certificat d’autorisation du gouvernement pour entreprendre le projet, implique une soumission totale à la procédure fédérale et, finalement, conduit à l’abandon des compétences du Québec.

Mécontents, différents groupes environnementaux, soit le Centre québécois du droit de l’environnement, Équiterre, Nature Québec et la Fondation Coule pas chez nous!, ont entrepris des démarches juridiques pour faire déclarer par la Cour que la portion québécoise du projet Énergie Est doit être assujettie à la procédure québécoise d’évaluation et d’examen des impacts.

Après de multiples rebondissements, le 22 avril dernier,  le ministre de l’Environnement David Heurtel a fait savoir: « En conséquence, en ma qualité de ministre […], je suspends le mandat octroyé le 8 juin 2015 au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement en vertu de l’article 6.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement concernant le projet Oléoduc Énergie Est…»

Toutes les séances prévues de la deuxième partie de l’audience publique, qui devait débuter le 25 avril 2016 à Montréal, sont donc annulées avec, comme résultat, que plus de 4 000 commentaires et plusieurs centaines de mémoires demeureront confidentiels en vertu des règles de participation au BAPE!

TransCanada a pu se faire entendre, mais pas les citoyens. C’est tout de même troublant de constater, encore une fois, que des personnes ou des entreprises ont des pouvoirs que les citoyens n’ont pas.

Il va sans dire que que le Bloc Québécois partage la conclusion de Mᵉ Baril à savoir que:

  • Le gouvernement du Québec semble hésitant à appliquer ses compétences environnementales au mépris de nombreux droits des citoyens;
  • Les nombreux revirements dans ce dossier sont une indication très claire du poids politique et financier de l’industrie des hydrocarbures;
  • Les règles de droit doivent s’appliquer à tout le monde et les tribunaux sont là pour ramener à l’ordre les récalcitrants;
  • On peut s’attendre à tout de TransCanada.

Les libéraux fédéraux ont déposé en Chambre le texte de l’accord de Paris avec fierté, mais lorsque le Bloc Québécois les questionne sur Énergie Est, ils se cachent derrière le rapport que présentera l’Office national de l’énergie dans quelques mois. Ils ne tiennent nullement compte du fait qu’un tel projet doublerait la production de barils de pétrole provenant des sables bitumineux, bref, que ce projet se disqualifie de lui-même en regard des accords Paris. Les scientifiques, les écologistes, le droit international, certains économistes, les citoyennes et les citoyens sont contre Énergie Est. Il ne manque que les intervenants politiques.