Protégeons les victimes, pas les abuseurs! – Par Monique Pauzé

Le 20 novembre dernier, Diane Doré et Hélène Larivière, de l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (Afeas),  Rhéal Fortin et moi-même avons tenu un point de presse à l’occasion du dépôt d’une pétition exigeant  du fédéral la mise en œuvre du projet de loi C-452 pour combattre la traite de personne et l’exploitation sexuelle.

En tant que porte-parole en matière de condition féminine du Bloc, mais d’abord et avant tout comme femme, je suis bouleversée par l’exploitation sexuelle et la traite de personnes. La population est de plus en plus inquiète face à des histoires d’horreur qui impliquent de plus en plus souvent des mineures. On se souvient de la crise des jeunes fugueuses à Laval, manipulées puis exploitées dans la prostitution. C’est épouvantable!

Anaïs Barbeau-Lavalette révélait avec une grande sensibilité leur drame et celui de leurs familles dans son documentaire Ma fille n’est pas à vendre. On se souvient aussi de la télésérie Fugueuse, qui braquait les projecteurs sur cet enjeu. Il ne s’agit malheureusement pas de cas isolés. L’an dernier, au Québec, il y a eu près de 950 fugues qui ont duré plus de 72 heures. Ce sont autant de nos jeunes qui ont été à risque.

Et pourtant, le gouvernement Trudeau se permet de ne rien faire depuis trois ans, depuis trois longues années. Pourtant, le projet de loi C-452 a été adopté à l’unanimité à la Chambre des communes pour faciliter les accusations contre les proxénètes et pour qu’ils subissent les conséquences de leurs actes.

Les Québécoises et les Québécois veulent qu’Ottawa agisse contre les proxénètes et, surtout, protège nos adolescentes. Mais en laissant entièrement tomber l’enjeu des peines consécutives et en laissant tomber C-452, ce sont les victimes de la traite que le fédéral laisse tomber, et les abuseurs qu’il protège.

Entre temps, comme le disait la documentariste Anaïs Barbeau-Lavalette, il y a d’autres filles qui tombent…

Situation des fugueuses/fugueurs au Québec.

Selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux, publiées en mars dernier dans le plan d’action Les fugues en centre de réadaptation pour jeunes en difficulté d’adaptation : Prévenir et mieux intervenir[1], il y a eu quelque 6300 fugues en 2016-2017 au Québec, soit une baisse de 6 % comparativement à l’année précédente. De ce nombre, sept fugues sur 10 ont duré moins de 24 heures et, parmi ces dernières, les trois quarts ont duré moins de huit heures.

Les situations les plus préoccupantes, soit des fugues de plus de 72 heures, ont tout de même représenté 15 % du total, soit près de 950. Du côté policier, le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Martin Coiteux, qui accompagnait l’ex-ministre ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux saines habitudes de vie, Lucie Charlebois pour l’annonce, a fait valoir que la prévention et l’intervention ne suffisaient pas en matière de fugues et que les milieux criminels continueraient de voir les jeunes fugueurs et fugueuses comme des proies pour l’exploitation sexuelle. L’ex-ministre avait indiqué que la nouvelle escouade mixte spécialisée de lutte contre l’exploitation sexuelle avait, en 2017, ouvert 91 dossiers qui avaient mené jusqu’ici à 31 arrestations et au dépôt de quelque 200 chefs d’accusation, dont 51 de proxénétisme et 13 de traite de personnes.

Ce document du printemps dernier demeure la plus récente publication du ministère à ce sujet.

[1] http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2017/17-839-02W.pdf

La législature et les projets de lois C-452, C-38 et C-75

Le projet de loi de Maria Mourani sur la traite des personnes (C-452) a été adopté par la Chambre des communes et le Sénat, puis a reçu la sanction royale le 18 juin 2015. Pour que C-452 devienne une loi en bonne et due forme, il ne manque que la signature, par le gouvernement, d’un décret d’entrée en vigueur.

À plusieurs reprises depuis les élections d’octobre 2015, le gouvernement Trudeau a été interpelé afin qu’il signe ce décret. Or, malgré le fait que M. Trudeau ait lui-même voté en faveur de ce projet de loi, le gouvernement refuse d’en permettre l’entrée en vigueur.

  • Le motif qu’il invoque est que l’article 3 du projet de loi, qui établit des peines consécutives pour les proxénètes, pourrait aller à l’encontre des dispositions de la Charte des droits et libertés.
  • Pour tenter de corriger la situation, le gouvernement a déposé le projet de loi C-38 le 9 février 2017.

L’ancien projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), a été sanctionné en juin 2015, mais n’est pas encore entré en vigueur. Le projet de loi C-452 modifierait le Code criminel en édictant l’article 279.05, lequel exigerait que les tribunaux imposent des peines consécutives pour les infractions de traite de personnes et toute autre infraction connexe basée sur les mêmes faits, dont un grand nombre sont passibles de peines minimales obligatoires d’emprisonnement.

La plupart des infractions de traite de personnes sont passibles de peines minimales obligatoires allant de un an à six ans. Puisque les peines minimales obligatoires sont susceptibles de limiter de manière injustifiable le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels ou inusités, garanti par l’article 12 de la Charte, et que l’exigence relative à l’imposition de peines consécutives vient ajouter à cette préoccupation, le projet de C-38 permettrait de faire entrer en vigueur l’ensemble du projet de loi C-452, à l’exception de la disposition sur les peines consécutives obligatoires[1].

Le projet de loi C-38 autorise l’entrée en vigueur du projet de loi C-452, à l’exception de l’article 3 (peines consécutives), qui entrerait en vigueur à une date ultérieure à être fixée par décret par le gouvernement.

  • Le Barreau du Québec, qui avait appuyé C-452, a changé son fusil d’épaule. Il a pris position en faveur du projet de loi libéral.

« Ainsi, le Barreau du Québec accueille favorablement l’initiative de la ministre de la Justice du Canada visant à reporter l’entrée en vigueur de l’article 3 de la Loi de 2015 et étudier cette disposition dans le cadre de la révision générale du système de justice pénale qu’entreprend la ministre et qui comprend un examen des dispositions concernant les peines obligatoires, dont celles établies par la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation[2]. »

Depuis son dépoté, C-38 a été abandonné parce que ces dispositions ont été incluses dans C-75, une refonte plus ambitieuse du Code criminel.

  • C-75 contient donc exactement la même chose que C-38 avec le même problème concernant les peines consécutives et la même absence d’échéancier ou de mise à l’étude de l’article litigieux.
  • C-75 est actuellement en débat à l’étape du rapport (il sera même vraisemblablement débattu en Chambre le jour du point de presse). Nous ne pouvons l’amender, il est trop tard.

[1] Source : (http://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/charte-charter/c38.html)

[2] https://www.barreau.qc.ca/pdf/medias/positions/2017/20170324-pl-c38.pdf